Le PDG de la BCDR discute de la réforme de l’arbitrage d’investissement à Vienne

Le panel lors du débat. De gauche à droite : Dr. Moritz Keller, Prof. Nassib G. Ziadé, Prof. Dr. August Reinisch et Prof. Dr. Marc Bungenberg

Le Professeur Ziadé s’exprimant lors du débat

Un membre du public posant une question au panel

Le Président-directeur général de la Chambre de Bahreïn pour le règlement des différends, le Professeur Nassib G. Ziadé, a pris part aujourd’hui au débat de Vienne sur l’arbitrage d’investissement organisé par le Professeur Dr. August Reinisch de l’Université de Vienne et par Dr. Moritz Keller de Clifford Chance, Francfort. Le débat a consisté en deux panels de discussions, l’un intitulé « Le Groupe de travail III de la CNUDCI : la discussion sans fin autour des précédents judiciaires », et le second « L’arbitrage d’investissement et l’UE : l’avenir suite à l’Opinion 1/17 et à la décision Achméa ».

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Le Professeur Ziadé participa au débat dans le premier panel, aux côtés de Dr. Marc Bungenberg de l’Université de Sarrebruck. Le Professeur Reinisch en fut le modérateur. Le panel se pencha sur la question de savoir si une plus grande cohérence était nécessaire entre les décisions relatives au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte et si des réformes dans cette direction seraient susceptibles d’empêcher l’émergence de nouveaux standards de protection de l’investissement ou mener à la disparition du standard du traitement juste et équitable (FET) tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Concernant le prétendu manque de cohérence dans la jurisprudence relative au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte, le Professeur Ziadé observa que bien qu’il n’y ait pas de stare decisis ou de doctrine de précédent judiciaire dans le domaine du règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte, les tribunaux ont cependant relevé qu’ils « devaient prendre en considération les décisions antérieures » d’autres tribunaux d’investissement (Saipem c. Bangladesh) ; qu’ils « devaient suivre les solutions établies dans une suite d’affaires concordantes »  (Bayindir c. Pakistan) ; qu’ils avaient « une obligation de chercher à contribuer au développement harmonieux du droit de l’investissement » (Oostergetel c. Slovaquie) ; et que les décisions antérieures « pouvaient fournir une orientation » (Burlington c. Équateur).

Le Professeur Ziadé souligna que l’arbitrage d’investissement moderne basé sur les traités d’investissement en était encore à ses premiers balbutiements avec un corps de règles à ce jour relativement peu développé. Sa formation remonte aux années 1990 avec notamment l’affaire AAP c. Sri Lanka, mais ce n’est que dans les années 2000 que la jurisprudence relative au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte se mit à se développer. Il est dès lors compréhensible qu’à un tel stade précoce de son développement, il y ait des inteprétations divergentes d’importants standards substantiels tels que celui de la clause de la nation la plus favorisée (MFN) ou celui de la clause parapluie, étant donné que les principales affaires sur ces questions importantes sont relativement récentes.

Le Professeur Ziadé mit en garde que le débat autour du prétendu manque de cohérence dans la jurisprudence relative au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte devait être relativisé vu que les incohérences étaient beaucoup moins nombreuses que les orientations constantes dans ce domaine. Ces dernières incluent des questions telles que l’exigence d’une dépossession permanente et irréversible pour établir l’expropriation (que celle-ci soit directe ou indirecte) ; l’absence de compétence des tribunaux d’investissement pour réexaminer les décisions des tribunaux étatiques lorsqu’ils sont confrontés à des allégations de déni de justice ; et l’exigence de diligence dans le cadre de l’obligation de protection et de sécurité intégrales, suggérant l’exigence de mesures raisonnables de protection plutôt qu’une responsabilité stricte (ou objective).

Concernant les opinions dissidentes, le Professeur Ziadé nota que bien que critiquées, elles peuvent jouer un rôle important dans le développement du droit du règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte, et ce pour ce qui a trait à l’annulation des sentences CIRDI. L’opinion dissidente d’aujourd’hui pourrait devenir l’opinion majoritaire ou même unanime de demain.

Le Professeur Ziadé souligna ensuite combien il serait aléatoire qu’un mécanisme d’appel ou qu’une cour permanente d’investissement puisse promouvoir une plus grande cohérence dans la jurisprudence relative au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte. Il nota d’abord qu’aucune des propositions de réforme avancées par l’Union européenne, la plus fervente promotrice d’un tel système, n’envisage une hiérarchie entre les décisions d’appel et de première instance ni un système de précédent judiciaire au sens strict. Ensuite, une plus grande cohérence à travers un mécanisme d’appel ne serait d’aucune utilité si les décisions étaient inexactes ou erronées. Enfin, certains cas d’incohérence dans les décisions relatives au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte peuvent être attribués aux perspectives idéologiques des arbitres ayant tranché ces affaires, perspectives idéologiques qui tendent à refléter les divisions qui existent plus largement au sein de la communauté internationale entre les États importateurs et ceux exportateurs de capitaux. Une cour permanente ne réduira pas les incohérences résultant de perspectives différentes mais provoquera plutôt une augmentation des opinions dissidentes qui pourraient compromettre la prévisibilité et entraver l’établissement de précédents judiciaires clairs. Pour illustrer ce point, le Professeur Ziadé donna l’exemple du jugement de la Cour internationale de Justice du 5 février 1970 dans l’affaire Barcelona Traction auquel huit opinions séparées et une opinion dissidente étaient annexées.

Le Professeur Ziadé mit également en lumière certaines des limites à la capacité d’une cour permanente de promouvoir une plus grande cohérence, dont le risque inévitable de divergences d’interprétation des standards substantiels dans un système basé sur plus de 3,000 traités bilatéraux d’investissement.

Également désavantageux serait le fait que l’adjonction d’un degré procédural supplémentaire pourrait encourager les parties à faire appel, augmentant par cela la durée et le coût des affaires relatives au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte au détriment des petites et moyennes entreprises et des États aux ressources limitées.

Pour améliorer la cohérence, le Professeur Ziadé proposa des solutions alternatives. Tout en reconnaissant les réalisations du système du règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte relativement à la transparence, il rappela que de nombreuses sentences n’étaient pas publiées, ce qui entrave le développement d’un processus décisionnel cohérent. Il incita donc les parties intéressées à redoubler d’efforts pour que toutes les décisions relatives au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte soient publiées. Le Professeur Ziadé suggéra également la création, à côté des tribunaux arbitraux, de comités conjoints dont l’interprétation des dispositions d’un traité lierait les tribunaux d’investissement institués sous l’égide du traité en question. Des organes conjoints d’interprétation existent déjà aux termes de l’Accord de libre-échange nord-américian (ALÉNA, ou NAFTA en langue anglaise) et sont prévus par l’Accord économique et commercial global conclu entre le Canada et l’Union européenne (AECG, ou CETA en langue anglaise) ainsi que par l’Accord entre les États-Unis, le Mexique et le Canada (USMCA). Le Professeur Ziadé a également fortement encouragé le CIRDI à développer un pool d’arbitres destinés exlusivement à traiter les procédures d’annulation. Ceci contribuerait à promouvoir la cohérence dans l’application de la Convention CIRDI et de son Règlement par les comités d’annulation. Au vu du nombre limité des motifs d’annulation dans la Convention CIRDI, il appela les États à prévoir des motifs supplémentaires d’annulation dans leurs traités d’investissement qui se réfèrent à l’arbitrage CIRDI.

Le Professeur Ziadé conclut son intervention en signalant que, selon la CNUCED, plus de 2,500 traités d’investissement en vigueur aujourd’hui sont des « traités de la première génération » négociés dans les années 1990 et les années 2000 à un moment où la jurisprudence relative au règlement des différends entre l’investisseur et l’État hôte en était à ses débuts. Ces traités contenaient des dispositions substantielles rédigées en termes généraux. En revanche, les traités modernes présentent une plus grande clarté quant aux protections substantielles, se concentrant particulièrement sur le droit de l’État à légiférer. Le Professeur Ziadé recommanda donc que lorsqu’un traité d’investissement atteint l’étape à laquelle il peut y être mis fin unilatéralement par l’une des parties contractantes, les États saisissent cette opportunité pour réformer les protections substantielles qu’il contient par la voie de la révision, de l’amendement, ou en remplaçant l’ancien traité par un nouveau, plus moderne.

Le débat de Vienne sur l’arbitrage d’investissement se termina sur un discours principal prononcé par le Professeur Dr. Hans van Houtte, arbitre réputé et ancien président du Tribunal irano-américain de réclamations.